I) L’évolution du droit de l’entreprise en difficulté

Si pendant longtemps l’entreprise défaillante a été traitée par les règles du droit de la faillite, essentiellement préoccupé par la défense des intérêts des créanciers, la législation actuelle est consacrée prioritairement à la sauvegarde de l’entreprise en difficulté.

A) De la sanction à l’aide aux entrepreneurs en difficulté

1) De l’ancien droit au Code de commerce

En matière de faillite, les règles de l’ancien droit étaient d’une extrême sévérité à l’égard du dirigeant qui avait déçu ses créanciers : l’esprit du droit romain, mais aussi celui du Moyen Âge, était tout empreint de la volonté de sanctionner le fait de faillir à ses engagements commerciaux. C’est qu’il n’y avait pas, alors, de différenciation entre l’homme et l’entreprise en faillite.
Le règlement de la cessation de paiements dans le Code de commerce originel était tout aussi répressif. La loi visait à écarter de la vie des affaires tout débiteur défaillant, considéré comme indigne de continuer à commercer.

2) Les textes modernes

Après avoir amorcé une évolution à la fin du XIXème siècle, le droit de l’entreprise en difficulté a sensiblement évolué avec des lois récentes, dont celle de 1985. Des procédures sont apparues dont le but premier n’était pas de liquider l’entreprise en difficulté mais de chercher les voies d’un redressement possible. Ainsi, la loi a instauré des dispositifs de prévention au travers de procédures non judiciaires de règlement amiable entre le débiteur et ses créanciers. Les derniers textes (loi du 26 juillet 2005 et ordonnance du 18 décembre 2008) ont accentué une tendance qui marquait déjà le droit contemporain de la faillite : la recherche de solutions pour favoriser la sauvegarde de l’entreprise.

B) L’arbitrage entre les divers intérêts

1) De l’EURL à la SARL

L’entreprise qui disparaît parce qu’elle ne peut pas surmonter ses difficultés, ce n’est pas seulement une perte d’argent pour l’entrepreneur ou les associés. La bonne perception des inconvénients de la liquidation est celle de ses effets économiques et sociaux.
Les règles légales d’aujourd’hui sont fondées sur cette approche. Aider une entreprise à survivre malgré ses problèmes vise à soutenir l’activité économique et à préserver l’emploi.
Les dernières lois veulent inciter les dirigeants connaissant des difficultés à les affronter en toute lucidité. S’ils sont persuadés que les dispositifs instaurés sont là pour les aider, ils accepteront de déclarer les problèmes avant même que les insuffisances de trésorerie ne prennent un tour définitif. S’ils savent devancer l’aggravation des problèmes, ils éviteront que la déclaration de la cessation de paiements ne se traduise presque toujours par la liquidation de l’entreprise. Le caractère quasi-inéluctable de cet enchaînement dans le passé est apparu comme un véritable fléau pour notre économie et a justifié l’adoption de ces nouvelles règles.

2) Les différents intérêts privés concernés

La sauvegarde de l’entreprise ne doit certainement pas être considérée comme une faveur faite aux entrepreneurs et aux associés. Pourtant, elle pose le problème de la confrontation des intérêts concernés par les processus légaux. Aider à la survie de l’entreprise en difficulté, c’est, par définition, demander aux créanciers impayés de consentir des efforts. C’est parfois, en cas de cession de l’entreprise, exiger un renoncement des associés qui perdent leur capital. Liquider l’entreprise, c’est tenter de régler les dettes, mais en ne servant le plus souvent que les intérêts des créanciers privilégiés, qui ne sont pas forcément les plus démunis (fisc, banques…). C’est aussi, parfois, faire peu de cas des attentes des clients, spécialement ceux qui sont concernés par un contrat en cours d’exécution.
Dans tous les cas, le législateur entend prendre en compte les intérêts des salariés. Le sauvetage de l’entreprise ou les conditions de sa liquidation doivent impérativement favoriser la préservation de l’emploi, si nécessaire au prix du sacrifice des autres intérêts.



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II) Les dispositifs de prévention des difficultés

A) L’obligation de publier les comptes

La transparence des résultats est un moyen d’éviter qu’une entreprise s’enfonce dans la dégradation de ses résultats jusqu’à un point de non-retour. C’est la raison pour laquelle les dirigeants des sociétés sont tenus de publier chaque année leurs comptes annuels, le rapport de gestion et celui du commissaire aux comptes. Cette publication se fait au greffe du tribunal de commerce. Il faut voir dans cette obligation une opportunité pour détecter les premières difficultés et attirer l’attention, tant de l’entrepreneur que de ses partenaires.

B) Les préoccupations financières

Si le dirigeant n’est pas assez lucide pour déceler les problèmes naissants, il est indispensable de lui faire prendre conscience des dérives dangereuses de sa gestion. C’est pourquoi la loi prévoit des dispositifs d’alerte.

Certains acteurs disposent ainsi d’un droit d’alerte. Cette prérogative est exploitée soit par le président du tribunal, soit par des membres de l’organisation qui n’ont que ce moyen de demander des explications face à une évolution de l’entreprise qui les inquiète. Ils s’interrogent sur sa survie et sur leurs propres intérêts. Le droit d’alerte est reconnu aux salariés au travers du comité d’entreprise, ainsi qu’aux associés.
Le commissaire aux comptes de la société, quant à lui, est non pas investi d’un droit mais tenu à un devoir d’alerte. Ce spécialiste de la gestion met son expertise au service du dirigeant. Ici, l’alerte n’est pas destinée à questionner mais à informer le chef d’entreprise d’un péril qui est constaté. D’ailleurs, ce devoir d’alerte fait partie des missions légales du commissaire aux comptes, au point qu’il encourt une sanction s’il ne déclenche pas l’alerte au moment où elle s’impose, c’est-à-dire en présence de faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation.



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III) Les procédures face aux difficultés

A) Présentation synthétique

Face aux difficultés, la loi prévoit de nombreuses voies de règlement. Certaines peuvent être choisies par le dirigeant : recherche d’une conciliation avec ses créanciers ou procédure judiciaire de sauvegarde. D’autres lui sont éventuellement imposées : procédures de redressement ou de liquidation judiciaire.

B) Les critères de choix des procédures

Le choix revient soit au dirigeant de l’entreprise en difficulté, soit au tribunal.

1) Être ou ne pas être en cessation de paiements ?

La cessation de paiements est caractérisée par l’impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible. Lorsqu’un dirigeant constate cet état, il doit le faire savoir en effectuant son dépôt de bilan au greffe du tribunal. Cependant, les difficultés de l’entreprise sont parfois moins graves ; elles peuvent être d’une nature autre que financière ou bien trouver leur origine dans la trésorerie sans que l’état de celle-ci ne justifie le dépôt de bilan.
Les dispositifs de traitement des difficultés diffèrent donc selon les cas.

En l’absence de dépôt de bilan, la prévention doit jouer son rôle au service du sauvetage de l’entreprise. La conciliation peut être recherchée grâce à l’intervention d’un conciliateur désigné par le tribunal pour tenter d’obtenir un arrangement entre le débiteur et ses créanciers. C’est en leur faisant comprendre qu’ils ont également intérêt à la survie de l’entreprise qu’il les amène à consentir des efforts.
Ne pas être en cessation de paiements autorise le dirigeant à opter pour une procédure judiciaire de sauvegarde. Dans cette hypothèse, il bénéficie d’une période d’observation susceptible de déceler les mesures aptes à assurer la continuation de l’activité.
Si l’entreprise est en cessation de paiements, c’est le tribunal qui choisit entre la recherche d’un redressement judiciaire et la liquidation. Dans le premier cas, l’entreprise paraissant viable, une période d’observation est également décidée pour apprécier la faisabilité du redressement. Dans le second cas, le choix du tribunal est imposé par le constat de l’impossibilité de sauver l’entreprise.

2) La recherche d’un règlement discret

La conciliation ne peut intervenir que dans la discrétion : la pérennité de la confiance des partenaires de l’entreprise l’impose. Il faut éviter que la révélation des problèmes soit cause de leur aggravation.
Les créanciers eux-mêmes ne souhaitent pas rendre publics les délais de paiement, les reports d’échéances, voire l’effacement de dettes qu’ils pourraient consentir.
Aucune autre procédure n’est aussi confidentielle que la conciliation, qui relève du droit des contrats : elle ne produit d’effet qu’entre les parties, ne concerne qu’elles, et n’a pas de raison d’être portée à la connaissance des tiers.
En revanche, dès lors que la voie judicaire est retenue, il y a forcément une forme de publicité des difficultés financières de l’entreprise.

3) La volonté de laisser le dirigeant à la tête de l’entreprise

Pour persuader le dirigeant de s’adresser à la justice en faisant état de ses difficultés, la loi ne doit pas lui faire craindre d’être dépossédé de ses prérogatives à la tête de l’entreprise, y compris dans la période où il demande de l’aide pour la redresser.
Si une tentative de conciliation est recherchée, rien ne change dans la gestion de l’organisation. Si c’est une procédure de sauvegarde qui est instaurée, le dirigeant garde la main sur les décisions, même si la mise au point du plan de continuation se fait grâce à l’aide d’un administrateur judiciaire. Si c’est le redressement judiciaire qui est tenté, le dirigeant est assisté mais n’est pas, en principe, écarté de la gestion.
De fait, le seul cas où l’entreprise est mise entre les mains du personnel judiciaire est celui de la liquidation. S’ouvre alors une période où les modalités de règlement des créanciers sont choisies par le liquidateur.

4) La préservation de l’emploi

Dans toutes les procédures offertes au dirigeant et au tribunal, le législateur attend que les décisions privilégient la préservation de l’emploi. Le sauvetage de l’entreprise prend alors tout son sens, au plan économique et, surtout, au plan social.
Certes, la restructuration est parfois inévitable, de même que les cessions d’actifs, voire la vente de l’entreprise tout entière.
Le tribunal a le dernier mot pour approuver un projet de plan de continuation ou de redressement, ou encore les modalités de la liquidation. Il lui revient de choisir la voie qui fait de la sauvegarde du plus grand nombre d’emplois sa priorité.

5) Le rôle des sanctions du dirigeant

Les sanctions en cas de difficulté de l’entreprise sont aujourd’hui moins nombreuses et moins fréquentes qu’elles ne l’étaient dans le passé. La législation moderne n’a cependant pas écarté toute possibilité de poursuivre le dirigeant à l’occasion d’une procédure collective.
D’abord, il peut être déclaré personnellement responsable du passif de l’entreprise liquidée ou dont le plan de continuation ou de redressement n’est pas respecté. Pour cela, il faut que le tribunal fasse la preuve de l’existence de fautes de gestion à l’origine de la situation.
Ensuite, le dirigeant peut être interdit d’activité professionnelle dans la vie des affaires, pour un temps plus ou moins long : il s’agit de la faillite personnelle, encourue uniquement par celui qui a commis des infractions aux obligations légales, en particulier en matière de comptabilité.
Enfin, il existe une sanction pénale pour délit de banqueroute, sanctionnant des manquements graves à l’honnêteté.

Ces différentes sanctions ne sont pas tant punitives que préventives. Leur éventail contribue à responsabiliser les dirigeants d’entreprise. L’objectif du législateur reste cohérent : l’essentiel n’est pas de punir ceux qui ont failli ; le plus important est de faire prendre conscience aux dirigeants qu’ils sont tenus à la plus grande vigilance dans leur gestion.



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